Maison d’arrêt d’Angers, salle Ouest, 9h30

Après quelques imprévus, Gaëlle et Doriane, venues de l’ONPL, s’installent en même temps que les détenus.

Le petit groupe est intrigué par le grand instrument de Gaëlle.
Elle est bassiste.

L’atelier commence autour de cet instrument, et de sa présentation : le basson.

Elle explique son rôle dans l’orchestre, ce qu’est un basson, de quoi il est composé, elle explique comment elle fabrique elle-même ses anches, dont elle dépend.

Le basson ne fait pas de son sans !

L’ONPL, Orchestre National des Pays de la Loire, c’est un orchestre symphonique français, faisant partie des Orchestres Nationaux. Il est basé à Angers et Nantes, et fait environ 200 concerts par an dans ces deux villes ainsi que dans toute la région.

L’orchestre réalise des ateliers et des concerts dans des salles de spectacles comme la Cité des Congrès de Nantes, mais également dans des établissements comme des EHPAD, des écoles ou comme aujourd’hui, dans les maisons d’arrêt.

Le bruit du basson fait réagir

« On dirait le son du grand-père dans ‘Pierre et le loup’ ! »

Gaëlle fait quelques morceaux assez connus aux détenus comme l’apprenti sorcier,

L’un d’entre eux lance “ J’aurai un défi pour vous !  Vous pouvez jouer ‘Titanic’ ?! »

Malgré son large panel de morceaux, Gaëlle ne le connaît pas par cœur celui-là, même de tête !

 Petite déception …

« Combien ça pèse ? » interroge un détenu sur l’instrument.
« Depuis combien de temps vous en jouez ? »

Environ 30 ans.

« Ça doit valoir cher !? »

Trop cher oui, il y a 15 ans, 10 000 €, aujourd’hui le même modèle en vaut 17 000 €.

Gaëlle parle de son métier, de son mode de vie qu’elle affectionne car elle peut adapter son organisation de travail. Il faut juste qu’elle soit prête le jour J.

Et puis ça dépend des œuvres, certaines demandes plus de travail que d’autres, comme la pratique d’autres instruments de l’orchestre. La difficulté n’est jamais la même !

« Ça vous arrive de faire des concerts à l’étranger ? »
Oui, j’ai été en Chine, au Japon, à Pékin, Shangaï, puis avec mon groupe de Quintette (orchestre de 5 instruments à vent) j’ai été en Europe, en Allemagne, Italie, dans plusieurs pays d’Europe !

« C’est quoi le meilleur orchestre du monde ? »
C’est plus une question de réputation, sourit Gaëlle.

 – Jeu de différentes musiques-

« Les anches vous les faites vous-mêmes ? »
Oui, c’est plus rentable !

« Ça dure combien de temps, ‘fin vous pouvez la garder combien de temps ? »
Ahah, ça dépend vraiment, je peux en garder une 2 jours comme 2 mois, c’est vivant, c’est du bois, ça reste aléatoire !

« Peut-être que tu peux expliquer ton parcours aussi Gaëlle ? » propose Doriane.

Gaëlle explique qu’elle a commencé le basson un peu par hasard, à 14 ans, ce qui paraît tard pour le monde de la musique. Elle a fait le conservatoire après la proposition de sa professeure, en même temps qu’une licence de lettres qu’elle a abandonné pour avoir son « prix de conservatoire », puis elle a passé le concours pour un poste de bassoniste solo à l’ONPL à 23 ans, quand elle était encore au conservatoire, elle l’a eu, et voilà elle y est depuis 21 ans maintenant ! 

Les détenus continuent de la questionner

« Vous aviez des bourses ? »
« Y’a d’autres instruments avec le même bout ? »
« Il fait quoi votre enfant ? – Vous jouez avec lui ? »

 L’heure passe, 

« Vous nous jouez un dernier morceau ? » 

L’atelier a l’air d’avoir plu, certains reviennent pour le concert de demain, ils ont hâte, surtout qu’ils ont déjà vu le flûtiste qui sera là, Gilles, il était venu pour le premier atelier.

Mardi, 9h15, salle Est, Maison d’arrêt d’Angers.

L’imprévu d’hier se reproduit aujourd’hui : une extraction d’un groupe de détenus vers le Palais de justice bloque l’entrée en détention.

Après ce contretemps, les deux musicien·nes s’échauffent un peu.
Les premiers spectateurs arrivent, la promenade retentit à travers les galeries.

Second contre-temps.
Les détenus présents s’impatientent

« Ça commence quand ? »

Le temps est différent en détention.
Tout est plus long.
C’est ainsi.

Tout le monde finit par arriver, un surveillant se met dans un coin de la pièce.
Il y a 11 inscrits sur 18, plus un surveillant, Aurélia, notre coordinatrice de l’action culturelle qui pilote ce projet, est contente, c’est un bon ratio.

Le duo orchestral s’intitule un concert de « musique de chambre ».

Gilles et Gaëlle vont jouer des pièces simples ou en plusieurs mouvements.

Musique
Pause

Les détenus écoutent, aucun bavardages, inattention,

Seule la musique

Lors d’une pause plus longue où les musicien·nes récupèrent leur souffle, Doriane en profite pour expliquer ce qu’est l’ONPL à ceux qui n’étaient pas là la veille notamment.

Syndicat mixte
Salarié·es
Association

La musique reprend,
Se termine.

Gilles et Gaëlle partagent leurs ressentis de leur point de vue de musicien·nes, iels remercient les détenus de leur écoute et attention, contrairement à certains concerts où les personnes le sont moins.

Les détenus leur posent à nouveau des questions, font du lien avec différents instruments. 

« Mon frangin faisait du hautbois ! »
« Le mien du saxo ! »

Le moment touche à sa fin

-Alors hier il y a une personne qui nous a demandé Titanic mais elle n’est pas là alors …

« Jouez la ! Jouez la ! »

 -Faudra lui raconter !

« Ah oui mais on pourra pas lui répéter ! »

*Rires*

C’est une partition de piano, Gilles, la flûte, fait la main droite et Gaëlle, le basson, la gauche.

Le concert se termine, 

« Des frissons ! »
« Ouais c’était chouette ! »

« Ouais… J’aime pas trop l’autre là, ça fait du bruit lourd ! Ça casse le délire à l’autre là ! »

 *Rires*

Gilles lui réponds -Oui ce sont des goûts aussi!

 « Je trouve que ça fonctionnait bien justement ! » répond un détenu. 

Il est 11h, les détenus sont invités à sortir de la salle , ils rangent les chaises naturellement, traînent un peu, des groupes de discussions se forment…

Les questions et liens entre eux et les intervenant·es continuent,

Allez, il faut y aller,

À bientôt,

Mensonge car pour la plupart nous ne nous reverrons plus, habitude du monde extérieur.
Nous traversons à nouveau les SAS de sécurité et le portique, au dehors.