La mission d’Aurélia avec le SPIP49

Nous sommes dans le bureau des partenaires, Aurélia (coordinatrice de projets au sein de l’antenne PaQ’la Lune dans le Maine-et-Loire), travaille avec les équipes de pôle emploi, de la mission locale et de l’aide au logement.
Elle assure sa mission de coordinatrice de l’action culturelle à la maison d’arrêt d’Angers.

Ces bureaux ne font pas partie du SPIP à proprement parler, par contre les personnes y travaillant sont connues par les détenus car elles participent à la préparation de sortie de détention : les formations professionnelles et ou emploi, la recherche de logement si besoin, etc. Les détenus sont suivis et donc jamais seuls. Pour Aurelia, son travail s’inscrit dans le cadre des missions que le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) du Maine-et-Loire a confié à PaQ’la Lune (c’est un marché public qui prévoit qu’une mission de coordination de l’action culturelle soit déployée dans toutes les maisons d’arrêt de France).

Aurélia me dit que parfois il y a des décalages de perception entre les membres de ce bureau. Elles voient les détenus dans un domaine on va dire plus « stricte » et sur un thème plus spécial par rapport à Aurélia qui les côtoient lorsqu’ils s’inscrivent aux activités culturelles qu’elle organise. Ces différents points de vue permettent de mieux comprendre les détenus.

Peux-tu te présenter rapidement ? Quelle est ta mission à PaQ’la Lune?

“ Alors moi c’est Aurélia, je suis salariée de PaQ’la Lune Maine-et-Loire et j’occupe deux fonctions : je suis coordinatrice culturelle à la maison d’arrêt d’Angers depuis février 2022 et je suis intervenante artistique au sein de l’équipe d’animation de l’association depuis presque cinq ans.

Je suis à temps partiel en coordination de projets culturels à la maison d’arrêt d’Angers et je garde 4h par semaine pour encadrer des TAP (temps d’activité  périscolaire)  dans une école élémentaire le vendredi après-midi.

Mes missions en tant que coordo ici, ça va être de mettre en place et d’organiser les ateliers de la programmation culturelle que je prépare, en lien avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.
J’ai la charge d’aller à la rencontre des partenaires pour monter les projets, pour rechercher les financements et pour ensuite les mettre sur place sur le terrain, directement à la maison d’arrêt.

Je suis aussi responsable du fonctionnement de la bibliothèque de la maison d’arrêt, en lien avec l’auxiliaire de bibliothèque qui est un détenu qui y travaille.
Il est chargé des emprunts / retours des livres et des jeux et du planning des fréquentations de la bibliothèque, qui sont des créneaux d’accès de la bibliothèque en fonction des galeries. Je suis responsable de sa formation du logiciel de gestion pour la bibliothèque.

Mon objectif premier, c’est vraiment le milieu fermé, donc les actions vont être axées sur la détention mais sur certains projets, je propose aussi des actions pour le milieu ouvert.

Peux-tu expliquer ce qu’est le milieu ouvert?

Alors le milieu ouvert c’est pour les détenus qui sont en bracelet électronique, DDSE ça s’appelle, donc du coup ils sont dehors tout avec ce bracelet, ils peuvent se rendre dans des lieux de culture comme le centre de congrès par exemple.

Mon but, c’est de proposer des animations, des activités qui essayent de balayer un maximum de styles, pour que ça touche au moins une fois,la personne lors de sa période de détention.

Alors je sais que je n’aurai jamais tous les détenus, mais voilà le fait de varier le style des activités ça permet de voir ce qui va plaire, ce qui va moins plaire et donc d’adapter au fur et à mesure la programmation.

En 2022, même si y a eu beaucoup de reports dû au covid, je n’ai pas été « novatrice » dans la programmation…Mais du coup en 2023 je savais ce qui pouvait plaire et ce qui pouvait moins plaire et donc j’ai ouvert un petit peu plus les horizons, on verra ce que ça donnera.

On verra en fonction des budgets SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation), en fonction des budgets des autres financeurs comme la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles). À côté de ça il peut y avoir des projets un peu plus ponctuels et là c’est l’administration pénitentiaire qui nous les propose.

Et des fois est-ce que tu as des demandes de la part de certains détenus ?

Oui ! Oui parfois ils me demandent est ce que tu peux faire ça, alors il s’avère que quand la programmation est clôturée, c’est moins possible en fin d’année.
Là, j’ai essayé de faire en sorte que les activités soient malgré tout une réponse à leurs attentes, donc je suis en train de faire les démarches et si ce n’est pas pour cette année ce sera pour 2024, on croise les doigts !

Par exemple, j’ai un public très passionné par les mangas et les BD, et du coup ils voulaient des ateliers de dessin, avec des auteurs et des illustrateurs de BD, pour cette année je n’ai pas eu le budget mais peut-être pour 2024.

Mon idée c’est qu’avec Angers BD et les auteurs invités, on puisse organiser une sorte d’atelier d’écriture avec les détenus, pour découvrir comment on fait une BD.

Oui puis ce sont des choses qu’ils pourraient continuer après l’atelier, le dessin un papier un crayon c’est facile.

Oui, il y en a beaucoup qui vont continuer à dessiner en cellule, puis moi après les dessins je les expose à la bibliothèque

Ok c’est chouette, ça doit motiver un peu !

Oui, c’est pour valoriser leur travail !

Pour l’instant je n’ai pas fait de concours cette année. J’en avais fait un, il y a un an, avant de reprendre les activités régulières. À mon arrivée, au moment de ma prise de poste, avec la découverte de mes missions, et la reprise des activités, j’avais lancé un concours de dessin manga, pour commencer par le côté graphique justement et réinvestir un petit peu la bibliothèque.

Ça avait bien marché ?

Oui, on avait eu 9 participants, ce qui n’est pas mal pour un premier petit concours de dessin ! Et puis j’avais fait une remise de prix, on avait trouvé des petits lots à offrir, des crayons, le premier prix à eu du matériel.

Pour qu’ils continuent ?

Oui pour qu’ils continuent. Et j’adore offrir des mangas, donc j’ai aussi offert des mangas.
Je laisse de toute façon du matériel d’art à la bibliothèque pour ceux qui veulent continuer.

Comment les détenus sont choisis ? Comment c’est géré ?

Alors moi j’envoie un flyer d’inscription en détention, qui est distribué à tout le monde.

C’est-à-dire que par galerie, il y a entre 120 et 150 flyers de distribués par galerie, donc c’est vraiment tous les détenus qui ont accès aux activités culturelles en milieu fermé.

Ensuite libre à eux de s’inscrire, car c’est sur volontariat.

Et sur le nombre de demandes d’inscription que je reçois, moi j’envoie ensuite les demandes au bureau de gestion des détenus, qui décide vraiment de la finalité de qui peut venir aux animations.

Et comment le bureau choisi ?

Ils savent très bien par exemple ce qui est incompatible en animation avec untel, par exemple ils vont dire « il faut choisir entre les deux », tu ne pourras pas… En général, pour les activités culturelles, iels font en sorte que ce soit des activités où ça se passe bien.

C’est une bulle d’air pour eux, donc l’idée ce n’est pas qu’ils aillent se « fritter vraiment la finalité » si je puis dire. Vraiment c’est l’idée de donner une respiration à leur quotidien qui n’est pas si simple.

Et une fois qu’il y a ces inscriptions, libre à eux le jour de l’activité de venir ou non.

Et depuis le 1er janvier 2023, comme je l’ai annoncé tout à l’heure, les activités socio-culturelles sont incluses dans ce qu’on appelle les remises de peine, ça fait partie du profil du détenu voir s’il est actif ou pas à la maison d’arrêt.

Et puis aussi pour les intervenants, il y a la problématique du suivi parce que: “ je n’ai jamais les mêmes participants… »

Ce n’est pas facile de les investir sur plusieurs séances. On essaye de s‘améliorer, on essaye de faire des sessions par exemple pour les arts plastiques, avant c’était des séances toutes les semaines. Du coup maintenant on fait des sessions de 4 séances, d’affilée, puis on change les inscriptions pour le mois d’après, etc. Il y a 5 sessions de 4 séances comme ça par an en arts plastiques.

Il y a le directeur qui est passé tout à l’heure et qui disait « Oh bah c’est bien, il y a des concerts où j’ai vu 2-3 personnes alors qu’il y avait pleins d’inscrits, là c’est cool une quinzaine ! » Oui c’est plutôt chouette !

Je théorise sur le fait que comme il y a eu un atelier le matin les détenus en auraient parlé entre eux, à la cantine.

Aurélia me dit,

« Alors oui et non, ils sont en cellule hélas pour manger ici, il n’y a pas de cantine, gros problème, enfin je trouve gros problème, parce que du coup ils n’ont aucun moment à eux, ensemble, hors promenades, hors activités.

Et du coup, ils mangent en cellule, mais c’est depuis le covid. »

Est-ce que des fois il y a des personnes qui ont comme des révélations lors de certaines activités que tu proposes ?

Oui, c’est arrivé, une ou deux fois, justement avec le parcours des Z’Écléctiques.

Le gars il était « Ah c’est vraiment trop beau » il a vraiment kiffé et il s’est mis à continuer à écrire du coup.

Et le parcours écriture poésie qu’on est en train de faire avec des auteurs invités par  PaQ’la Lune, de la même façon j’ai un gars qui m’as dit « Mais j’écris de plus en plus et je prends de plus en plus confiance en moi à écrire, ça a débloqué ma plume et j’aime écrire ! »

Donc oui, j’en ai eu quelques-uns, ce sont des petites pépites mais c’est agréable à entendre.

Oui puis ça donne des outils aussi autres que peut être ce qu’ils développent tout seuls et qui n’est pas forcément la solution idéale?

Oui, l’idée c’est que les activités culturelles apportent, une ouverture, ça leur donne une envie de découvrir autre chose, par exemple on va miser sur des activités de musique, on a eu classique et donc là plutôt musiques actuelles.

On va miser sur des activités de culture générale ou scientifique aussi, donc l’année dernière dans le cadre des semaines thématiques, il y a les petits débrouillards qui sont venus faire des expériences.

Ça avait bien plu et justement je voulais le refaire cette année mais on n’a pas eu les sous.

Il y a eu le parcours cinéma aussi, ça ils aiment beaucoup, et il faut que je le relance. On a finalisé le parcours l’année dernière, j’ai recréé un parcours avec financement mais on ne l’a pas eu donc il faut que je voie comment on peut faire pour garder le côté cinéma, parce que c’est hyper important les projections.

Les séances de cinéma, d’atelier de créations, et rencontres de réalisateur·ices et de comédien·nes, en général ils aiment bien ce temps-là, ils sont férus de rencontres, ils adorent ça.

Et c’est vrai qu’avec le partenariat avec la bibliothèque municipale d’Angers, on a toujours des rencontres d’auteur·ices en résidence dans le cadre d’un prix, qui peuvent venir ici donc c’est chouette.

C’est hyper divers en fait, moi j’essaye de faire en sorte que ça leur plaise, j’essaye d’avoir des outils pour avoir leurs avis, leurs retours.

Après des fois ils ont du mal à s‘exprimer donc il faut juste savoir lire entre les lignes, mais c’est du bon sens aussi, quand ça les touche c’est que ça leur plaît, ça se voit, y’a pas besoin de se poser la question, ça se voit !

Et toi comment tu es arrivée là ?

Alors-moi comment je suis arrivée là comme ça, de PaQ’la Lune…
L’association a déposé sa candidature dans le cadre d’un marché public. On a été retenu !

Ensuite, Christophe, le directeur de l’association, a ouvert les candidatures pour le poste de coordination de projets en interne auprès des salarié·es et puis moi je me suis dit avec mon parcours, que le côté management de projets culturels et créations, etc, ça m’a toujours plu.

Du coup j’ai posé ma candidature en me disant que de toute façon je n’avais rien à perdre, et puis j’ai eu trois entretiens et puis voilà !

Et la maison d’arrêt ça t’intéressait particulièrement ou pas spécialement ?

C’était un défi dans un sens, parce que moi c’est un milieu que je ne connaissais pas du tout, que je n’ai jamais côtoyé, le milieu carcéral.

C’était vraiment une envie de découvrir, et de casser des préjugés parce qu’il y en a beaucoup même si on ne veut pas de mal, ou stéréotyper les choses, malgré tout on part avec des préjugés.

Et moi je voulais voir c’était quoi d’être au plus proche de ce public là et en fait on se rend compte que ce sont des personnes comme toi et moi, et qu’il y en a oui, qui ont des histoires difficiles, compliquées, et puis il y en a d’autres c’est au mauvais endroit au mauvais moment des fois.

Leur passif normalement je ne suis pas sensée le savoir, je dois faire preuve de neutralité et ma mission c’est juste de les ouvrir à la culture et aux activités artistiques mais comme ce sont des moulins à paroles, enfin dès qu’ils commencent à parler, ils parlent d’eux, ils parlent de leurs passif.

Tu créer un peu des liens avec certains ?

Oui, il y en a en activité avec qui ça se passe bien, il y a du respect, je peux me permettre de « blaguer » gentiment et le feeling passe bien avec certains.

Après c’est surtout avec ceux qui reviennent beaucoup, donc je les voient beaucoup, en plus ils sont reconnaissants parce que je suis toujours présente à faire les activités et j’essaye d’être au maximum sur le terrain en activité, donc forcément ils sont contents, ça leur fait du bien.

Puis, voir une fille, ben ça leur fait du bien aussi, il ne faut pas le cacher.

Pour la majorité en tout cas. Me dit-elle avec un sourire.

Est-ce que tu as d’autres projets qui arrivent bientôt cette année ?

Alors cette année il va y avoir l’ONPL (orchestre national des pays de la Loire), un parcours culturel, qui va se mettre en place, avec une action au centre de congrès, accessible pour des détenus en milieu ouvert.

Avec la maison d’arrêt ?

Avec la maison d’arrêt oui, donc c’est un projet financé par la DRAC et le SPIP, (tous ces projets là s’inscrivent dans le dispositif spécial culture justice).

Il y a toujours la bibliothèque qui est là à l’année, sauf l’été, donc je sais que je peux compter sur elle, ça fait un parcours régulier surtout que pour l’instant je n’avais pas calé d’autres choses car j’étais en attente des budgets.

Toi tu aurais d’autres envies, enfin oui j’imagine que tu as plein d’envies à mettre en place ?

Oui, moi j’aimerai vraiment répondre au côté très graphique, du public très intrigué par le côté illustration et dessin dont je te parlais tout à l’heure, faire du lien avec le festival Angers BD notamment comme je te le disais.

Puis l’idée au local, c’est de commencer une première rencontre en février, puis un premier concert en mars, un deuxième en avril-mai puis un autre atelier en été, un deuxième concert à la rentrée et une dernière rencontre pour le milieu ouvert à l’automne.

C’est vraiment étayé sur l’année les parcours culturels.

Il est 17h30, c’est la fin de journée pour nous deux, Aurélia me raccompagne à l’entrée.