Un couloir de la maison d’arrêt d’Angers.
Maison d’arrêt d’Angers, 10h30 Atelier musique-son, salle Est.
Le groupe de musique intervenant dans le cadre du festival “ Les Z’Ecléctiques ” s’installe.
Ils vont animer un atelier autour du son, de comment fonctionne un concert, notamment sur le côté technique.
Les 3 garçons montent les enceintes, branchent les câbles, s’échauffent la voix.
Eliott, régisseur son et musicien,
Charles, alias Chahu, auteur, compositeur et interprète.
Nerlov, musicien, intermittent du spectacle, hip-hop électro.
Le groupe de détenus arrive, les 6 personnes s’installent.
Eliott se présente, commence à échanger avec eux.
Créer du lien.
« C’est quoi votre rapport à la musique ? »
« Moi je mixe un peu. »
« Je me tâtais à l’orgue, j’ai de la famille qui est en régie de spectacle. »
« Moi j’ai une asso, j’suis DJ ! »
« Je joue de la darbouka, je compose, j’écris, je chantais. C’est plus de la musique orientale.»
Échange sur des souvenirs avec une personne sur son vécu de concert.
« Quand j’étais jeune on a joué dans un gymnase, on a dû faire… 100- 200 personnes ! »
La discussion dérive sur des vécu des festivals,
« Circuit Alternatif », « Les Vieilles Charrues ».
L’un explique qu’en journée c’était de la musique tranquille et que le son était plutôt
« De l’électro et de la techno en soirée. »
Des regards et quelques sourires.
L’un d’eux aime la musique de « teuf » comme il dit.
Trouver des points communs,
Trouver des souvenirs,
Échanger.
Explication de termes techniques au niveau du matériel de son.
Une personne lance « ce sont des micros qui ne glissent pas ceux-là ? »
Apparemment au dernier atelier, la dernière fois les pieds de micros ne tenaient pas…
Retours
Scènes
Réverbes
« Est ce qu’il y a des concerts qui vont ont marqué ? » demande Eliott au groupe.
« Le Helfest ! C’est génial j’y vais tous les ans ! » réponds très enjoué un détenu.
Quelques notes jouées d’un instrument intriguent les détenus.
« C’est un ukulele baryton, c’est plus grave qu’un ukulélé « normal ».
J’ai changé les cordes pour que ce soit plus alto », explique Chahut.
Set List
Antisèche
Les deux artistes racontent comment ils en sont venus à créer leur duo.
« C’est grâce à cet événement à la maison d’arrêt, avec le festival des Z’Écléctiques que nous avons créé ce projet ! » conclue enjoué, Nerlov.
Après la petite parenthèse technique, le tour des récits de concerts continue.
« J’ai vu Pink Floyd à Nancy et Poitiers, c’était super, j’ai encore mon ticket !
« J’avais été à un concert d’orgue »
« On s’en rappelle »
« Et toi ? »
« Ben…plus de la tech, Les Bulldogs en Normandie… »
« Ya bcp de rave en Bretagne et en Normandie ? »
Élévation des voix
« Ah ben grave !! »
Puis la discussion s’éloigne un peu, les langues se délient sur leur détention.
« Tu entres en prison une fois, t’y reviens tout le temps, ils ont ta tête ! »
« La première fois, j’suis rentré en 2012 ! »
Galères de câbles
Eliott a oublié les jacks pour les enceintes…
Pas facile lorsqu’on est dans une maison d’arrêt.
Il faut repasser par des portiques, prévenir des déplacements en interne….
Le temps est bien différent.
D’ailleurs sans téléphone, pas simple de savoir l’heure…
Délai
Echo
Octaveur
« Vous avez des dates prévues en Normandie ?»
Faire du lien avec son vécu
S’identifier
Les détenus s’impatientent un peu de quand ils peuvent sortir de la salle. Bientôt ?
« Je veux aller fumer chef ! »
« Pas tout de suite, il n’est pas l’heure encore. » leur réponds le surveillant présent.
Demande à nouveaux de la part des détenus.
Aller, bon appétit, à tout à l’heure pour le concert.
Concert, salle Est, 14h30.
Les retardataires se font attendre. Ce sont les appels à la promenade. C’est un peu le bazar.
Moment de silence.
[…]
« Ah ouais c’est triste là ! » lance un détenu, voulant briser ce trop calme.
« J’vais pas chanter du Renaud ! » répond un autre qui apparemment aime cette musique, à un voisin le provoquant « Bah chantes du Renaud on s’en fout ! »
Échange sur les styles de musique entre les détenus et les intervenants.
La salle se remplit tranquillement, les participants de ce matin étant les premiers.
« C’est bientôt salle comble ! »
Aurélia vérifie les noms de chaque inscrit.
« Le guichet va bientôt fermer, attention ! » lance un détenu du premier rang.
Tous les détenus inscrits sont là, le groupe se présente à ceux qui n’étaient pas là à l’atelier de ce matin :
« Nous avons fait un atelier ce matin avec certains d’entre vous. » explique Eliott.
« Sans les câbles » ironise un détenu sur l’oubli de ce matin.
Après une brève intervention d’Aurélia pour introduire ce moment musical, le concert commence.
« Un peu d’eau, un peu de soleil, et une meuf en bikini… » chantent Chahut et Nerlov.
« Et une meuf en BIKINIIII !» reprennent certains détenus accompagnés de rires d’autres.
Ainsi que d’un fou rire du côté de l’équipe encadrante…
À la fin de la chanson, quelques-uns plus dissipés lancent :
« Apparemment ils se sont bien amusés »
*Rires*
De l‘émotion plus triste aussi parfois.
La musique est douce,
un peu nostalgique,
peut-être porteuse de souvenirs pour certaines personnes ici,
privées de leurs libertés.
« C’était bien mais y’en a un qui aurait eu besoin de l’antisèche ! » lance un détenu à la fin du morceau, référence à ce matin.
« De la merde ça je sais faire,
de la merde,
de la merde … »
« Nous aussi on sait faire !! » *Rires*
« T’as pris combien ?! » *Rires*
Ironie sur leur propre situation, les paroles leur parlent apparemment.
Voyant l’entrain de certains, Nerlov lance :
« Vous pouvez chanter les mecs ! »
*Sourires*
Les dissipés semblent se faire plus discrets, écoutant les chansons, les unes après les autres, applaudissant à la fin de chacune d’elles.
Boule au ventre.
Tête entre les mains.
Des larmes roulent sur les joues.
« Je suis un cétacé…pris dans un filet… »
« Ah ! Là on parle d’une crevette » s’exclame l’un d’entre eux
« Avec cette chanson j’vais récidiver c’est sûr ! »
« Ah ouais c’est mort ! » ironisent d’autres durant la chanson.
À l’annonce de la prochaine chanson, deux détenus réagissent :
« Ah c’est la copine à bikini ça ! »
*Rire général*
Un autre intervient, sincère :
« Moi j’aurai bien vu une femme chanter cette chanson.
Et sur la deuxième musique j’aurai bien vu une batterie… » en mimant l’instrument.
Le concert terminé, les détenus demandent à Eliott de chanter :
« Alleeez ! Vas-y chante nous un truc, tu sais chanter non ? »
Provoquant un peu la « fierté » du régisseur.
Le groupe l’encourage, Eliott finit par leur chanter une chanson en anglais.
« On dirait une musique de film »
« Un peu Dylan aussi ! » compare un autre
« Yes un peu ! Je m’inspire beaucoup de lui ! » répond Eliott.
« Ça se voit qu’il y a un p’tit passé de fêtard ! » lance un détenu avec un clin d’œil.
Nerlov ironise :
« Pourquoi forcément un passé ? »
Fin des dissipations, Aurélia propose d’échanger sur ce que le groupe a pensé de ce moment.
« J’aime bien merci. »
« On est vos 1ers fans ! »
« On écoutera votre 1er album ! »
« Puis en plus grâce à vous on gagne des RPS ! » (Réductions de peine supplémentaires) –
Ironise un dernier
« Nan mais au-delà des RPS c’est bien en vrai ! »
Chahut explique son rapport à la musique, il dit que c’est comme une thérapie pour lui.
Certains réagissent:
« Moi j’aimerai bien faire ça, ça éviterait la violence. »
« Moi j’écoute beaucoup de musique, j’mets du Brel, Joe Dassin, tout ça, hyper fort ! Les voisins ils sont en mode ‘wesh t’écoutes quoi là ?!’ J’en ai rien à foutre ! » s’exprime un autre par rapport au fait qu’écouter de la musique puisse être une thérapie.
Un autre renchérit « Du coup ils ont mis du double vitrage à sa fenêtre ! »
Éclats de rires dans la salle.
« Nan mais c’est quand même différent de ce qu’on voit à la télé, c’est mieux ça ! » s’exprime plus sérieusement un détenu.
D’autres sont plus graves lorsqu’on leur demande comment ils se sentent après ce moment :
« Toujours aussi enfermés… »
Sur ces derniers échanges, Aurélia annonce la fin de l’atelier et le retour des détenus en cellule.
« Déjà 16h30 ? Mais nann, on peut rester un peu non ? Vous avez pas besoin d’aide ? On peut ranger si vous voulez ! »
Alors que le matin ils regardaient tous l’heure…
Une boîte où les participants peuvent y glisser des jetons météo est posée à la sortie de la salle. Les détenus sont invités à partager leur ressenti ainsi, et à laisser un mot sur un carnet.
Les derniers sortent de la salle.
Nous rangeons le matériel puis repassons toustes les lourdes grilles et les portiques de la zone de détention.
Fin de l’instant d’évasion.
Retour en cellule.
Loin de la meuf en bikini et des crevettes.
Laissant la bulle d’oxygène apportée avec nous en suspension, quelque part à l’intérieur de ces murs.
